Zéro


« L'unité est la loi de Dieu, l'évolution est la loi de la vie, le nombre est la loi de l'Univers. »
Pythagore (vers 580 av. J.C - vers 495 av. J.C)

Toute existence débute en un point zéro. Le point zéro de la naissance. Le point zéro d'un C comme chemin, le point du temps d'avant le temps de la vie. La numérologie est l'une de ces pseudosciences à laquelle j'attribue une véritable logique. Au gré de mon existence, j'ai pu observer en dehors de tout dogme des liens impressionnants de pertinence entre une observation de la survenue de nombres et des événements. Le zéro apparaît particulièrement fascinant dans le sens où il n'a pas à sa place dans la numérologie ni même dans l'arithmancie pythagoricienne remontant à plus de deux-mille ans. Tout du moins, il me fascine tout particulièrement par le trop peu d'attention qu'on lui porte par rapport aux neufs autres nombres. Étrangement, après quelques recherches, le zéro semble issu de la même racine que zéphyr et zèbre. C'est à partir de cette racine commune que le zéro devient encore davantage attractif dans l'intérêt que je lui porte car ces deux mots sont inducteurs d'un lien immédiat entre ma conviction de Dieu et ma nature propre. Le zéphyr de la mythologie grecque, fils du maître des vents et de l'aurore, signifiant probablement « ténèbres, région obscure », serait un vent. Un vent ? Pourrait-il s'agir d'une autre interprétation du fameux pneuma divin ou d'autre chose ? Pourrait-il s'agir plutôt de ce vent contraire, c'est à dire celui du vent du diable ? La signification probable de zéphyr dans tous les cas, quand elle semble évoquer les ténèbres ou une région obscure, n'est point apte à nous évoquer le bon chemin. Selon les sources, ce vent est soit de l'ouest ou du nord-ouest. Ce vent est soit perçu violent, pluvieux ou plutôt au contraire, doux et léger comme une brise tiède conduisant à la fonte des neiges. Zéphyr évoque donc selon les auteurs, un vent à la texture et au comportement ambivalents. 
N'est-ce pas très justement la propriété particulière du zéro, le rendant inclassable, de désigner l'ambivalence ? 

Quant au zèbre, il peut se rapporter au haut potentiel intellectuel puisqu'il s'agit de la définition popularisée par la psychologue clinicienne et psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin en 2008 lors de la sortie de son livre « Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué ». Ce terme pour désigner les individus à l'intellectualisation singulière a été retenu car il ne fait guère de mystère que le zèbre se prête peu à la domestication et qu'il a développé de puissantes techniques de défenses face aux prédateurs. C'est une espèce de stéréotype du rebelle réfléchi dans sa capacité à interagir avec ses sens et sous forme de pensées «éclair». Fidèle au symbole du zèbre, je réponds totalement à la nature sauvage et têtue de l’animal face à une tentative de harnachement à des valeurs qui ne me conviendraient pas. Le fait que le zèbre soit également un symbole de courage car entreprenant de grandes migrations vers de nombreux horizons cognitifs malgré les prédateurs qui le menacent comme la simple complexité des sujets, tend à finaliser un portrait expliquant pourquoi j'aime le zéro. 

Le zéro illustre cette authenticité, cette incorruptibilité, ce courage, cette singularité et cette liberté à l'état pur, desquels je me revendique dans ma façon de tracer simplement mon sillon. Le zéro a beau s'apparenter à un cercle pouvant faire penser au moule à gâteau parfait, je n'ai jamais pu en épouser un très longtemps sauf si et seulement si, il respecte les pourtours de ma propre volonté. Comme le zéro, je perçois la défense de mes convictions et de mes valeurs comme une unité sans partage. Dès qu'il devient question de partager une unité qui nous est réellement propre, on est contraint aux concessions de toutes natures visant à abandonner notre authenticité. Cela me semble très difficile de le concevoir autrement, si ce n'est pour vivre délibérément en paix avec le reste du monde en évitant d'encourager l'appétit de loup de l'homme pour l'homme dont la persécution est la porte d'incarnation la plus fréquente. 

Le zéro possède cette ambivalence incroyable qu'il est à la fois un ensemble vide et un ensemble plein. Autrement dit, un ensemble vide n'est jamais tout à fait vide. Il y a cette petite présence d'un centre sans surface, sans dimension et sans objectivité. Comme les Pythagoriciens, je porte la conviction première que le divin est partout et que ce centre représente en quelque-sorte la graine de l'univers. En sanskrit, zéro signifie « vide » et en tant qu'objet mathématique pur, il délimite les positifs et les négatifs en désignant une quantité nulle. L'immobilisme parfait en addition avec le risque de la négation en soustraction qu'il suscite ; la remise à zéro qu'il instrumente en multiplication ; l'impossibilité exclusive de la division quand on le choisit comme dénominateur dont il est l'unique artisan. Tout ceci me fascine et m'amuse profondément car le zéro est finalement un nul dont on sous-estime trop les pouvoirs si singuliers qu'il renferme dans ses profondeurs. On le croit vide, on le croit nul mais en fin de compte, il est l'origine, il est tout. Les athées désignent Dieu comme valeur nulle mais ils ont tort car l'absence de surface et de dimension les perturbent. L'ensemble vide qu'ils désignent ne l'est finalement pas car l'âme ne possède justement aucune surface ni dimension ni encore d'existence objective. L'âme existe déjà dans le temps d'avant le temps car le temps aux yeux des humains ne devient temps que lorsque la présence de cette âme se manifeste sur la matière. Et comme certains, notamment les athées, sont dans l'impossibilité d'attribuer à une âme que l'on a jamais vu, des manifestations sur la matière, Dieu leur semble bien étranger. J'aime le zéro parce qu'il questionne et perturbe. J'aime les zéros tout autant parce qu'ils questionnent l'autorité en permanence et qu'ils perturbent l'assistance par leurs singularités.

« Tout le monde savait que c'était impossible. 
Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l'a fait. »
Marcel PAGNOL (1895-1974)

J'aime les zéros car ce sont des imbéciles qui changent le monde. Les zéros sont rien et pourtant tellement tout. Les zéros ont tous été humiliés à l'école en collectionnant notamment les zéros et les railleries car leurs travaux trop singuliers ne trouvaient pas notation. La différence, aussi géniale soit-elle, conduit presque toujours au dénigrement plutôt qu'aux encouragements. Les zéros meurent bien souvent en zéros et finissent par revêtir le costume des héros à la lumière de leur reconnaissance posthume. Pourquoi ne pas les reconnaître de leur vivant ? Je pense, aussi étonnamment que cela puisse paraître, que la reconnaissance d'un zéro comme un héros n'est possible que le jour où son décès rend possible la détection de l'influence de son âme sur la matière. Quand l'âme n'est plus et quand le temps n'est plus, la matière n'est plus. On les détecte à l'absence. Ces héros ne deviennent détectables que lorsque leur nullité devient matériellement réelle. Pire encore, l'objectivité de la situation me contraint même à conclure grassement que les zéros ne deviennent vénérables que lorsqu'ils atteignent la valeur négative de -2 mètres sous le niveau du sol. Un comble pour ces zéros d'avoir attendu un minimum de reconnaissance toute leur vie. Lorsqu'ils descendent matériellement dans le négatif, c'est précisément à ce moment que ces nuls sont perçus si positivement. Je repense à ce fameux zéro qu'était alors Jésus, aux yeux de la foule romaine en délire. Quand je me remémore cette étrange nuit noire comme les ténèbres qui s'abat au moment de la remontée de son âme vers son père, serais-je maintenant mieux à même de comprendre pourquoi Zéphyr pourrait objectivement signifier « ténèbres, région obscure » ?

Le zéro, c'est également un petit bout de nous tous car les gens réellement exceptionnels ne détiennent pas le monopole de ce revers de situation. Nous ne sommes pas différents dans l'intensité de la considération que nous portons à nos proches ou sur la considération que nos proches portent sur nous, tant que nous sommes vivants. On ne profite jamais assez de la présence de l'autre tant qu'il est parmi nous. Un père et une mère sont des zéros exceptionnels dans le sens où ils sont incontournables sur notre existence. Sans eux, nous n'existions pas. Honorer le zéro, c'est honorer son père et sa mère comme le célèbre commandement délivré à Moïse sur le Mont Sinaï. Honorer le zéro, c'est honorer alors la notion d'héritage et de tous les devoirs qu'il incombe. Malheureusement, si certains ont su faire valoir leurs droits avec beaucoup de véhémence, ils ont également oublié leurs devoirs les plus fondamentaux éblouis par leur orgueil démesuré. A se proclamer tous sans devoirs, ils se sont réduit à la nullité spirituelle. Quand l'éthique est lettre morte, c'est à ce moment précis où ces personnes atteignent véritablement le niveau zéro car sans morale, la vie se résume à l'immobilisme et l'absence de construction autour d'un projet. Si ces personnes excluent la philosophie de leurs projets, leur bilan sera bien mince. C'est en cela aujourd'hui où je me dis qu'il convient de pardonner à tous ceux qui nous ont offensés car être considéré comme un zéro dans le sens de la nullité et de l'imbécilité, c'est la plus belle récompense que ces personnes pouvaient infliger.

Je fus moi-même ce zéro parce-que l'on m'a infligé injustement des zéros. J'ai été un zéro parce-que l'on m'a infligé justement des zéros quand la défense de l'authenticité de mes valeurs était à ce prix. J'ai été un zéro pour un instituteur parce-que je n'étais pas assez viril ; je pratiquais la danse tous les mercredis après-midi au lieu de tirer des ballons dans une cage. J’ai été un zéro car j’ai osé fort jeune défier les adultes sur le chemin de la connaissance et de la maturité intellectuelle. J'ai été un zéro parce-que mon premier amour concevait très mal que je ne sache pas effectuer des fractales. J'ai été un zéro parce-que je ne faisais décidément pas comme tout le monde, tant dans les formes que dans le fond. J'ai été un zéro parce-que j'en faisais tout un fromage sur l’injustice. J'ai été un zéro parce qu'un homme se doit d'être très fort et qu'il ne doit pas pleurer ; en résumé, il est socialement incorrect d’être hypersensible au monde qui nous entoure. J'ai été un zéro parce-que je n'avais pas le permis de conduire car cela fait tâche à dix-huit ans de ne pas se traîner avec un A collé dans le dos de son véhicule. Je suis un zéro parce-que j'ai eu la maladresse de naître, de vivre et de perturber la vie tranquille au mauvais moment de mes deux aînés. En tous points de vue, je sais que je suis un zéro car je dérange par ma capacité à l'autonomie de mes pensées et la fermeté de mes idées. Je suis un zéro car je suis trop moraliste. On peut être un zéro pour vraiment pas grand-chose, pour si ridicule finalement. Faire pleinement partie de ces zéros comme ces soleils que l’on n’aurait pas voulu voir se lever à l’Est dont on craint les ombres.

J'encourage toutes les personnes réduites à un zéro à gagner en confiance en leurs réalisations, en leur soi, car contrairement à ces esprits « bien-pensants » ayant voulu plusieurs fois leur instruire la vie, elles ont intégré que réussir une vie, réussir sa vie, c'est justement ce besogneux travail à notre individuation et à notre authenticité. Rien que cela. Le reste est futile. Le temps d'après le temps d'avant le temps, on passe de zéro à un et le chemin personnel commence...